Le féminicide, une violence historique et culturelle
#MeToo a permis de dénoncer le caractère massif et structurel des violences sexuelles et sexistes. Mais pourquoi ces violences sont si présentes dans nos sociétés et depuis si
longtemps ?
Origines et fondements historiques
Le féminicide—meurtre de femmes en raison de leur genre—n’est pas un phénomène nouveau, mais l’aboutissement de siècles de domination patriarcale et de misogynie institutionnalisée. Dès l’Antiquité, la vie des femmes est dévalorisée : dans la Bible (nuit de Guibéa), la mythologie (Daphné résistant aux dieux transformée en laurier) ou la Grèce antique, les femmes transgressant les normes sociales (infidélité, désobéissance) risquent la mort, souvent avec l’approbation de la communauté.
À Rome, le pater familias détient un droit de vie et de mort sur les membres de sa famille, y compris sa femme. Au Moyen Âge, l’Église et la chasse aux sorcières (XVe–XVIIe siècles) illustrent un féminicide de masse : des milliers de femmes, souvent veuves indépendantes, guérisseuses ou marginalisées, sont torturées et exécutées. Ces violences visent à contrôler le corps féminin et à punir toute forme d’émancipation. Le féminicide est accompagné de tortures sexualisées : coupure des seins, éventration, utérus exposé. L’anatomie féminine, étudiée à partir du XVIe siècle, est réduite à ses organes génitaux, reflétant une vision réductrice et objetisante.
Évolution et banalisation
À l’époque moderne, l’industrialisation et l’urbanisation libèrent partiellement les femmes du contrôle familial, mais les féminicides se multiplient, notamment parmi les ouvrières et les prostituées, souvent présentées comme des « coupables » méritant leur sort. Après la Première Guerre mondiale, les hommes, habitués à la violence de guerre, perpétuent cette logique en tuant des femmes émancipées. Au XIXe siècle, la justice reste complice : en France, jusqu’aux années 1970, un mari tuant sa femme adultère bénéficie de circonstances atténuantes. Les guerres mondiales voient émerger des violences genrées massives (viols, stérilisations forcées), tandis que les féminicides deviennent des « faits divers » sensationnalistes, érotisant la souffrance des victimes.
Culture du féminicide
Le mot « culture », c’est à dire les arts, le savoir, le raffinement, associé à celui de « viol ou féminicide» nous choque. Pourtant il s’agit bien de « culture du féminicide » dont il s’agit à travers les âges. La culture du féminicide commence avec l’époque de la chasse aux sorcières et parallèlement s’enracine dans l’art, la littérature et les sciences. Dans les contes, les féminicides sont monnaie courante comme dans la Belle au bois dormant (de plus embrassée sans consentement), le Petit Chaperon Rouge et dans le fameux conte de Perrault intitulé La Belle et la Bête, le clou est proféré dans la morale au sujet de la belle trop curieuse : »La curiosité est un défaut féminin qui coûte cher » !
Une nouveauté surgit au XVIIIème, c’est la porno-anatomie avec les mannequins de cire démontables (Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d'Ecouen / René-Gabriel Ojéda). De même Hitchcock ou Picasso normalisent la violence contre les femmes. Les médias et la littérature contribuent à banaliser ces crimes, présentant les femmes comme des victimes fautives ou des objets de désir à détruire. Les féminicides sont ainsi légitimés par une culture qui associe plaisir et domination. Que ce soit symbolique, comme dans les œuvres de Picasso ou Dali, ou réaliste, le féminicide a pour but de Voir et de Détruire.
Le « male gaze » (regard masculin prédateur) et la fascination pour le démembrement féminin traversent les siècles, de la dissection publique en passant par les œuvres de Sade jusqu’aux films d’horreur. Le but est de normaliser la violence faite aux femmes.
Prise de conscience et résistance
Le terme « féminicide » est popularisé dans les années 1970–1980 par des féministes comme Diana E. H. Russell. Depuis les années 2000, des mouvements comme Ni Una Menos ou
Nous Toutes ont poussé plusieurs pays à reconnaître légalement ce crime. Pourtant, l’impunité persiste : en 2023, une femme est tuée toutes les 11 minutes dans le monde, principalement par un proche.
Mécanismes de perpétuation
La culture du féminicide repose sur :
• La victimisation des femmes : les médias et la justice minimisent souvent les violences, culpabilisant les victimes.
• La banalisation : blagues misogynes, érotisation de la violence (comme dans Cinquante nuances de Grey), ou discours politiques et masculinistes renforcent cette
tolérance sociale.
• Le déni : les agresseurs et la société utilisent des stratégies de minimisation (« c’est un drame passionnel », « elle l’a cherché »).
Vers une déconstruction
Pour lutter contre le féminicide, il faut :
• Reconnaître son caractère systémique : ces crimes ne sont pas des « faits divers », mais des actes politiques révélateurs d’un déséquilibre de pouvoir.
• Transformer les structures sociales : éducation, réforme judiciaire, protection des victimes, et promotion d’œuvres culturelles alternatives, porteuses d’égalité.
• Dénoncer l’imaginaire violent : comprendre comment l’art, la littérature et les médias perpétuent une culture du viol et du féminicide, et privilégier des récits
émancipateurs.
Conclusion : Le féminicide est un phénomène ancien, profondément ancré dans l’histoire et la culture. Le combattre exige de nommer cette violence, de déconstruire les normes
patriarcales et de promouvoir une culture de l’égalité.
Sources :
- Delphy, Christine (2015). Un universalisme si particulier. Féminisme et exception française. Syllepse.
- ONU Femmes (2023). Rapport mondial sur les homicides liés au genre.
- Lien : https://www.unwomen.org
- Ivan Jablonka (2025). La Culture du Féminicide, Editions du Seuil
- Bérénice Hamidi (2025). Le Viol, notre culture, Éditions du Croquant
Écrit par Jacqueline Castany




