Caminor le choc

Du samedi 13 février au dimanche 28 février 2016

De 2015 à 2018, GSF a monté des dispensaires mobiles de Gynécologie Obstétrique, CAMINOR, pour travailler dans le Nord-Pas de Calais avec les femmes migrantes. Après la destruction de Sangatte, le problème des migrants n’a pas été résolu, ils se sont disséminés tout autour de Calais en particulier dans une zone dunaire rapidement appelée « la jungle ». Dans une revue de gynécologie, je découvre que GSF recrute sage-femmes et gynéco obstétriciens pour une durée de deux semaines. Pendant trois ans, ces binômes vont s’occuper des femmes migrantes tant à Calais qu’aux villes alentours. J’ai la chance en février 2016 de faire partie de l’aventure.

Pendant le voyage, j’ai le temps de lire et relire la presse qui décrit les conditions de vie dans la jungle et le projet à court terme de la destruction de cette zone de non-droit. Les unités de gardes mobiles de toute la France convergent vers Calais envoyées pour déloger les réfugiés pour les relocaliser dans d’autres centres dans tout l’hexagone. Assise tranquillement dans mon wagon, je n’ai aucune idée du choc qui m’attend. J’ai travaillé dans des camps de réfugiés dans beaucoup de zones du monde, je me crois solide inatteignable. Mais voir des migrants logés sous des tentes de toile dans la neige, sans chauffage cernés par les CRS dans mon propre pays ce n’est pas du tout pareil.

À l’arrivée, je suis accueillie par Valérie Marante qui est déjà là depuis une semaine. Je dois apprendre vite car la semaine prochaine je serai formatrice d’une autre sage-femme, Sylvie Deleval. J’ai eu au téléphone avant mon départ Alexandra Dute la sage-femme qui a monté cette mission. Elle a cherché à me rassurer. Depuis plus d’un an GSF C permet aux femmes des camps de profiter de consultation gynécologique, mais aussi d’être orientées dans les structures de soins environnantes.

Dès l’arrivée nous partons en maraude aidées par Hanna notre traductrice. On encourage les femmes à venir nous voir le temps de se réchauffer un peu, de boire un thé, d’évoquer leurs problèmes. Nous allons aussi amener des patientes à l’hôpital pour les amener à leur échographie ou pour une consultation.

 

Très vite la situation se tend, les menaces de fermeture se précisent. Dans la neige la boue et le froid nous arpentons la jungle qui est devenue un véritable lieu de vie avec mosquées, églises, restaurants. Partout, des habitats informels mais aussi des tentes tenues par des associations venues de toute l’Europe : distribution de livres, écoles, activités pour les enfants. Toutes ces zones de solidarité vont passer au bulldozer comme le reste. La presse du monde entier est venue voir la destruction de la jungle, témoin de notre incapacité à faire face et à accueillir dignement ce flux de misère.

Les femmes comme les hommes sont en attente d’un départ, monter dans un camion pour prendre le tunnel et traverser le Channel. Elles sont accompagnées de leurs familles enfants, grands-parents. Nous nouons des liens chaleureux avec une famille syrienne de Mossoul. Ils nous invitent à partager leur repas, nous racontent la guerre qu’ils ont fui et leur rêve de passer en Angleterre. La mère est fatiguée, enceinte de 6 mois. Valérie lui fait une échographie. Elle sourit au bébé. Nous les trouvons quelques jours plus tard, épuisés ; ils sont montés pendant la nuit dans un camion mais dans le mauvais sens. À refaire.... Heureusement que nous ne restons que 2 semaines car sinon nous aurions fini en prison pour avoir tenté de passer une famille de l’autre côté de la Manche.

Le soir, nous échangeons avec Alexandra et Richard Mathis qui nous encouragent et nous conseillent. À Grande-Synthe, un nouveau camp se construit. Nous allons avoir un refuge d’hébergement d’urgence pour les femmes et enfants. Une petite lumière pendant que les bulldozers écrasent à Calais. Une certitude pour moi sur le retour, j’ai trouvé une association incroyable ou je désire m’engager près des femmes, près de chez moi car l’ailleurs est maintenant ici et on ne peut pas rester immobile.

Écrit par Anne-Marie Lechartier

La collecte se poursuit

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