Les Femmes et le Sport

La pratique du sport est un portail vers la performance, c'est une passerelle vers la réalisation de soi et la création de sens à la vie. Le monde du sport est doté de valeurs d’universalité, de rassemblement et d’égalité.

Les Jeux Olympiques (JO) de Paris 2024 ont été l’occasion de célébrer la parité, les athlètes féminines et masculins y étant représentés pour moitié-moitié, comme femmes et hommes le sont dans l'ensemble de la population, une grande source de fierté pour la France et le comité organisateur. Mais parité n’est pas égalité comme nous le verrons plus loin.

Brève histoire des femmes dans l’olympisme

La première participation officielle des femmes aux Jeux olympiques date de 1912. Elles représentaient 2 % des athlètes et ne pouvaient participer qu’à deux disciplines, legolf et le tennis. Il faudra attendre 2007, soit le XXIe siècle, pour que la Charte olympique rende obligatoire la présence des femmes dans tous les sports. La conquête a été progressive depuis l’organisation par les femmes de leurs propres compétitions internationales, jusqu’à la participationpuis jusqu’à la parité en compétition.

Dans les instances dirigeantes, l’intégration des femmes est également progressive, deux premières femmes au Comité International Olympique (CIO) en 1981, une charte pour œuvrer à promouvoir les femmes dans le sport de manière explicite à partir de 1996, une première vice-présidente en 1997, et en 2013, pour la première fois, quatre femmes, soit 26,6 % des membres, siègent à la commission exécutive du CIO. Elles représentent le tiers en 2024.

 

Parité n’est pas égalité

Même si de plus en plus de femmes sont venues à la pratique d'une activité physique ou sportive depuis 50 ans, les inégalités entre femmes et hommes à faible capital culturel et économique demeurent réelles. Les trois quarts des femmes ne pratiquant aucune activité physique sont employées ou ouvrières, par rapport aux cadres ou professions libérales. De plus, elles optent surtout pour des activités d'entretien, de mise forme et de loisir sportif, beaucoup moins pour des pratiques compétitives et encadrées en club, par rapport aux hommes. Les disciplines choisies demeurent très sexuées, dans les faits comme dans les représentations. Actuellement, parmi les quelque 85 fédérations olympiques et non olympiques, une quarantaine comporte moins de 20% de femmes. Quelques sports olympiques comptent 80% de femmes ou plus : les sports de glace, l'équitation et la gymnastique, quand le tir, le rugby ou encore le football figurent parmi les disciplines en comptant le moins. Les hommes demeurent surreprésentés dans les sports historiquement masculins et ouverts aux femmes seulement après les années 1970.

En équitation, les femmes licenciées sont plus nombreuses que les hommes au niveau national, mais elles étaient bien moins représentées aux JO2024. La parité totale à ces derniers JO a effectivement été obtenue grâce à d’autres sports exclusivement féminins tels que la natation rythmique.

Sociologie : des inégalités dès l’enfance

Dès l'enfance puis à l'âge du collège et ensuite, les garçons pratiquent toujours plus fréquemment du sport que les filles, et bien plus souvent qu’elles en club et en compétition.Les sports privilégiés sont différents selon les genres :  jeu collectifs, combats, jeux d’extérieur pour les garçons, activités individuelles d'intérieur pour les filles.

De nombreuses filles arrêteront le sport à l'adolescence contrairement aux garçons.  La question de la féminité et de la sexuation du corps se pose pour les filles alors que le sport est une composante valorisante dans la construction/affirmation de la virilité à l'adolescence des garçons.

Les espaces urbains comme les skate-parks, city stades etc... sont quasi exclusivement occupés par les garçons. Il s'agit donc moins d'une question d'existence d'infrastructures ou d'équipements que de confiance en soi : les actions éventuelles à mener devraient donc avoir pour but d'amener les filles à "oser" la pratique de tel ou tel sport dominé par les garçons.

La voie explicative majeure des inégalités concerne l'intériorisation du sexe social durant l'enfance et l'adolescence car elle pose les bases de beaucoup de choix futurs. La socialisation primaire dans le noyau familial est très sexuée : les rapports à l'espace et au corps sont loin d'être similaires, la motricité induite étant quasi absente avec les jouets des filles, qui leur promettent un futur de mère, de femme au foyer et de femme séduisante, à la différence des jeux des garçons qui les encouragent à explorer, occuper leur espace et affinent leur motricité. Ces socialisations sexuées, très différenciées, engagent tous les rapports aux objets, au monde, aux espaces, aux autres et bien sûr à soi et à son corps. Dans toutes les activités sportives, bien évidemment, le corps est central, corps qui dès la naissance est porteur d'une appartenance de genre lourde de conséquences.

Représentation de la place et du corps des femmes

A la reprise des JO en 1896, les convictions majoritaires en ce qui concerne la place de la femme dans la société, celle d’être « avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille, et [elle]doit être élevée en vue de cet avenir immuable », selon le baron Pierre de Coubertin, fondateur des JO modernes. Beaucoup de préjugés étaient aussi associés au sport féminin, comme une transformation peu esthétique de la silhouette, car trop musclée, une perte de la féminité, une atteinte à la fertilité…

Encore aujourd’hui, malgré toutes les avancées, les femmes sont, la plupart du temps, éduquées pour prioriser les autres, leurs familles, leurs enfants, tous les autres, leur foyer, et peuvent vivre le fait de poursuivre des objectifs personnels ambitieux comme une trahison envers ces autres, avec une culpabilisation sociale.

Il existe également des polémiques vestimentaires, ainsi que certaines qui concernent les signes religieux visibles.Le cas du beach-volley permet de mieux illustrer ce propos. Ce sport véhicule une image des plus sexy, les joueuses devant porter des bikinis, avec une largeur de short maximale à 7 cm. Pour inciter et permettre à de nouveaux pays d’intégrer les JO, tout en se conformant à leurs règles culturelles et religieuses, la Fédération de beach-volley féminin a autorisé les joueuses à porter un short plus long et un tee-shirt.
Pour l’instant, le CIO laisse les différentes fédérations sportives trancher. Plusieurs fédérations ont tranché dans le sens d’une autorisation aux joueuses de jouer voilées, comme la fédération internationale de basket, de football, de judo, de karaté… C’est une nouvelle réglementation qui montre l’évolution de la place du signe religieux dans le sport, favorisant ainsi la participation d’athlètes féminines de pays tels que l’Arabie Saoudite, le Qatar, ou Brunei. Elle ne concerne pas seulement le port du voile pour les musulmanes, mais aussi la kippa pour les juifs ou le turban pour les sikhs.

En 2022, l’équipe anglaise de football, approuvée par la capitaine de l’équipe française, avait soulevé la problématique des tenues blanches pendant les règles, et demandé à l’équipementier Nike d’y réfléchir. Le problème est également rencontré par la judokate Clarisse Agbegnenou.

La question des tenues était encore omniprésente avec celles des athlètes américains pour les JO 2024 : short mi-cuisse pour les hommes et body extrêmement échancré pour les femmes.

Curieusement, ces problématiques sont moins présentes dans l’univers du sport masculin.

Être mère et sportive de haut niveau

Sonya Looney, vététiste professionnelle d'ultra-endurance, ancienne championne du monde et quatre fois championne nationale des États-Unis qui a affronté et remporté les courses de VTT les plus difficiles dans plus de 25 pays, témoigne : « En 2020, après la naissance de mon premier enfant, nous avons décidé de créer un film documentaire qui a depuis fait le tour du monde et remporté de nombreux prix sur le défi des normes culturelles et de l'identité que représente le fait d'être une mère athlète.La tendance était que les gens tombaient enceintes et prenaient leur retraite. Mais que se passe-t-il si je ne veux pas prendre ma retraite ? Que penseraient les gens de moi et serais-je toujours prise au sérieux ? (…) Une norme culturelle que beaucoup de femmes sont en train de surmonter est que vous n’êtes pas obligée d’abandonner qui vous êtes parce que vous devenez maman. J'étais fière de donner l'exemple qui a créé un changement positif pour d'autres femmes qui envisageaient les mêmes voies ».

Un autre exemple célèbre est celui de Clarisse Agbégnénou, qui donne naissance à une petite fille nommée Athéna le 15 juin 2022, puis onze mois plus tard, fait son retour aux championnats du monde qui se disputent à Doha, remporte en février 2024 le Grand Chelem de Paris, sa septième victoire dans cette compétition, et enfin brille par plusieurs médailles individuelles ou en équipe aux JO de Paris.

Inégalité médiatique entre les hommes et les femmes, inégalité dans l’encadrement

Les inégalités femmes/hommes dans le sport concernent également les postes de dirigeantes : on compte aujourd'hui 19 présidentes pour 115 fédérations (dont 2 pour des sports olympiques).

L'accès aux postes d'encadrement des métiers du sport est aussi très déficitaire en femmes. Seulement 11 femmes sur 70 directeurs techniques nationaux en France exercent au plus haut niveau de l'encadrement technique. Ensciences du sport (STAPS), la proportion moyenne de filles dans cette filière universitaire est en dessous de 30%, pourcentage en diminution alors que la filière connaît un succès croissant en nombre de candidats.

Dans les médias, sur les milliers d'heures consacrées au sport annuellement toutes chaînes confondues, on voit des hommes durant 74% du temps ; 4,8% du temps médiatique consacré au sport concerne des compétitions féminines, et 21% des compétitions "mixtes" (données pour 2021)

Il existe une progression de la médiatisation du sport féminin, même si elle est lente : elle représente entre 16 % et 20 % du volume horaire de diffusion de retransmissions sportives en 2018, contre 14 % en 2014 et 7 % en 2012.

En France, l’opération Sport Féminin Toujours, est depuis 2018 le rendez-vous annuel pour donner un nouvel élan à la médiatisation du sport féminin. Temps de sensibilisation impliquant tous les médias, qu’ils soient audiovisuels, radiophoniques, relevant de la presse écrite ou encore du numérique, du niveau national ou local, l’objectif poursuivi est d’améliorer la visibilité et l’image des filles et des femmes dans le sport.

Cependant, nous pouvons opposer un bémol aux conditions nécessaires à la médiatisation des sportives. Cet impératif selon lequel « Le sport doit être compatible avec la féminité », répété depuis 150 ans de sport moderne, doit sauter. Les footballeuses, tout comme d'autres athlètes s'adonnent à des protocoles de maquillage, coiffage, bijoux et autres vernis à ongles, subordonnées à "des canons classiques de féminité", exacerbés par la spectacularisation du sport et ses enjeux financiers.

Les autres sportives étantpeu présentes et peu diversifiées dans les médias, (lanceuses de marteau,haltérophiles ou sportives de sports de combat…), les femmes et les filles ne voient pas suffisamment de modèles divers et possibles pour elles.

Harcèlement et agressions

En janvier 2018, Simone Biles, la gymnaste multi-médaillée, révèle avoir subi des abus sexuels commis par Larry Nassar, ancien médecin de l'équipe nationale de gymnastique et condamné un mois auparavant à soixante ans de prison pour possession de matériel pédopornographique.

Cet exemple est loin d’être unique et exceptionnel et révèle l’ampleur d’un phénomène d’abus de pouvoir et d’autorité.

En France et depuis 2020, dans un contexte de libération de la parole, le ministère des Sports a lancé une convention annuellesur la prévention des violences sexuelles dans le champ du sport. Il s’agit de prendre à bras le corps le fléau des violences psychologiques, physiques, sexistes et sexuelles et bâtir une véritable politique nationale de prévention.

Tests de féminité et taux de testostérone

Depuisque les femmes ont obtenu le droit de participer aux compétitions sportives, le sexe est utilisé pour répartir les athlètes en deux catégories : masculine et féminine. Pour les hommes, les choses sont simples : tous sont acceptés dans la catégorie masculine, sauf les dopés. Pour les femmes en revanche, le dopage n’est pas le seul critère. Certaines se voient refuser le statut féminin car leur biologie, en particulier leur taux de testostérone, n’entre pas dans les « normes ».

Statistiquement, 95% des femmes ont un taux de testostérone inférieur à 2nmol/L, or il existe des variations physiologiques interindividuelles, 14% des athlètes féminines d’élite ont des taux supérieurs à 2,7nmol/L ; de plus, certaines conditions, comme le syndrome des ovaires polykystiques ou l’hyperplasie congénitale des surrénales,entraînent des taux élevés de testostérone. De même pour certaines « variations de la différenciation sexuelle » (VDS), autrefois appelées hermaphrodisme, ambiguïté sexuelle ou encore intersexualité.

Dans la littérature scientifique, les preuves de la corrélation entre le taux de testostérone endogène (et non celle de dopage), et le niveau de performance, sont insuffisantes, et devraient de fait, plaider en faveur d’une présomption de non-avantage, selon la sociologue du sport Madeleine Pape, consultante auprès du CIO

 

En conclusion, pour plus d’égalité hommes-femmes dans le sport, il serait important d’augmenter la pratique sportive féminine, de lui donner plus d’accessibilité, de visibilité à tous les niveaux, pour assurer plus de santé, de partage, de transmissions de valeurs humaines universelles comme les valeurs olympiques.

Pour cela, et entre autres actions citées précédemment, il est essentiel d’agir sur les représentations sexuées présentes dans l'éducation dès la petite enfance, au sein des familles, de l'école, dans les cours de récréation et tous les supports destinés aux plus jeunes, dont les jouets.

Garçons et filles ne sont pas pareils, mais ils ont les capacités de faire les mêmes activités ! Les petites filles peuvent pratiquer le rugby, et les garçons la danse !

 

Sources

https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/300324/tests-de-feminite-taux-de-testosterone-quand-le-sexe-embrouille-le-sport

https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/290150-ou-en-est-legalite-femmes-hommes-dans-le-sport

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/place-des-femmes-dans-les-medias-la-culture-le-sport

 Écrit pas Joelle Safi

 

 

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