Trois Sœurs : Chronique d'un Drame Familial et Plaidoyer Contre les Violences Domestiques en Russie

« BIOT-ZNACHIT LIOUBIT »     

« S’il te bat, c’est qu’il t’aime. »

Proverbe russe.

 

Laura Poggioli, russophile française, signe son premier roman en 2022 dans lequel elle nous emmène dans un huit clos familial moscovite, où règnent violence domestique, torture psychologique, inceste…

L’auteur qui a découvert la Russie durant ses études, vouait à ce pays un amour inconditionnel, sans pour autant occulter ses paradoxes ni sa brutalité, ainsi qu’à Mitia « son prince russe » avec qui elle vécut un an alors qu’il l’humiliait et la battait.

Laura Poggioli nous immerge dans ce pays à l’histoire complexe, profondément marqué par son passé, sa culture patriarcale et des décennies de totalitarisme ; ce pays où la voix des femmes n’a pas de poids.

Le 27 juillet 2018, un fait divers ébranla la société russe toute entière : Les 3 sœurs Khatchatourian avaient tué leur père Mikhail Sergueïevitch, maltraitant et violeur.

Cela aurait pu être « juste un fait divers de plus » mais des voix se sont élevées, et leur histoire est devenue un symbole de l’indifférence des autorités et de nombreux citoyens face aux violences domestiques. La Russie s’est déchirée à propos de ce crime.

Tel un compte à rebours des 11 ans avant le drame, Laura Poggioli nous fait pénétrer dans l’intimité des sœurs Khatchatourian, dans leur enfer. Parallèlement au fait divers, elle nous dévoile son expérience personnelle : les chapitres consacrés aux trois sœurs sont entrecoupés de chapitres autobiographiques dans lesquels elle raconte sa propre expérience en Russie avec son conjoint violent. Laura Poggioli analyse avec finesse les processus de l’emprise et les difficultés de sortir de ses situations dangereuses une fois que tout s’est mis en place.

Bien plus qu’un roman, Trois Sœurs est un témoignage bouleversant, un véritable plaidoyer.

Un roman qui dénonce

qui enrage

qui pousse à réfléchir, à s’indigner, à s’émouvoir, à se repositionner, à s’énerver, et à réfléchir encore….

 

LA LEGISLATION RUSSE vis-à-vis des Violences Intra Familiales

Le 25 Janvier 2017, avec une écrasante majorité (385 voix contre seulement 2), les députés russes ont adopté un projet de loi visant à dépénaliser les violences commises dans le cercle familial. 

Ce texte voté, prévoit de commuer en peine administrative des actes de violence intra familiale pour les primo-agresseurs n’entrainant pas d’hospitalisation, « sans séquelles graves » y compris envers les enfants. 

Ce texte surnommé « La loi des gifles » dit vouloir ainsi préserver le droit des parents à punir leurs enfants et réduire la capacité de l’Etat à se mêler de la vie familiale.

Cette loi a été portée par les courants conservateurs, très influents au sein des cercles du pouvoir, en particulier la puissante Eglise orthodoxe russe. Cette dernière considère que la justice, en s’immisçant dans les foyers, briserait des familles, ce qui est incompatible avec les valeurs spirituelles et morales traditionnelles de la Russie.

Le 07 Février 2017, le président Vladimir Poutine a promulgué cette loi.

Cette dépénalisation a conduit à placer les violences domestiques au même niveau qu’une infraction administrative et non comme un délit. Les peines pour ces actes sont passées de 2 ans de prison à de simples amendes de 30 000 roubles (470 euros) le plus souvent prélevées sur le compte commun du couple (!!!) ou à des peines de travaux d’intérêt général.

A noter qu’en juillet 2016, l’article 116 du code pénal russe relatif aux violences physiques introduisait la notion de « proche » (conjoint enfant frère ou sœur) comme une circonstance aggravante. Les promoteurs de la loi de dépénalisation ont jugé discriminatoires le fait que ces proches puissent être poursuivis pénalement, alors qu’un inconnu relèverait du droit civil. Toute mention d’ « un proche » disparaît du code pénal dès 2017.

En Juillet 2019, pour la première fois, la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) a sanctionné la Russie pour une affaire de violence conjugale. La CEDH a conclu que le vide juridique et l’absence d’ordonnances de protection dénotaient une incapacité systémique à résoudre ce fléau.

Le 09 Avril 2021, la Cour Constitutionnelle russe a ordonné un durcissement de la législation concernant les violences domestiques. Il s’agit notamment d’un durcissement des sanctions visant les récidivistes. Une victoire « historique » selon les associations de défense des droits des femmes, mais encore « insuffisante » en vue de la gravité de la situation nationale. 

Suite à l’étude de 4 nouveaux dossiers de plainte qui donnait raison aux 4 femmes victimes de violence conjugale, la CEDH condamne le 14 12 2021 la Russie à modifier sa législation sur les violences domestiques. Dans son arrêt, la CEDH dénonce les manquements législatifs russes concernant la prévention et la condamnation de ces violences. Malgré cette condamnation de la Russie par la CEDH, le Kremlin a exclu en décembre 2021 tout durcissement de la législation russe sur les violences domestiques.

Parmi les 47 états membres du Conseil de l’Europe, seuls la Russie et l’Azerbaïdjan n’ont ni ratifié ni signé la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui date de 2011.

 

Reportage Arte : Russie SOS Femmes en danger (Octobre 2017)



« S’il vous tue, nous viendrons pour effectuer les constatations. »

 

QUELQUES CHIFFRES de la Violence Intra Familiale en RUSSIE

1 femme meurt toutes les 63 minutes sous les coups de son conjoint ou ex conjoint

Soit + de 8300 victimes par an

16 millions de femmes seraient concernées par les violences conjugales

80% des familles russes seraient concernées par des faits de violence Intrafamiliale

 

Les militants russes de lutte contre la violence domestique sous pression

 

En 2012, a été promulguée une loi russe sur les agents étrangers, qui exige que quiconque reçoit un « soutien » de l’extérieur de la Russie ou soit sous l’«influence » de l’extérieur de la Russie s’enregistre et se déclare comme AGENTS ETRANGERS. Cette loi a été entre-autre conçue pour limiter les ONG indépendantes.

Le Centre ANNA (un des principaux groupes d’aide aux femmes créé en 1993) s’est vu imposer la désignation d’agent étranger en 2016 en raison du soutien financier que lui apporte l’union européenne, mais surtout après avoir fait pression pour une législation plus stricte sur la violence domestique. De même pour l’ONG Nasiliu.net « Non à la violence » Centre de soutien psychologique et juridique aux femmes par le biais d’une application

« Le système a dirigé toutes ses armes contre nous et tout ce que nous faisons » a déclaré Alyona Popova, fondatrice de l’Organisation Ti Ne Odna (« Vous n’êtes pas seule ») créée en 2016 qui fournit aux victimes une assistance juridique psychologique et matérielle gratuite.

La loi sur les Agents Extérieurs exige que les ONG ainsi étiquetées ajoutent cette désignation à leurs sites Web et à leurs documents imprimés, ce qui empêche les groupes de lutte contre la violence domestique d’afficher des panneaux en public avec des informations sur les endroits où obtenir de l’aide. En forçant les entités étiquetées à se soumettre à des audits financiers trimestriels rigoureux, les activistes affirment que cette loi étouffe les groupes de soutien. Dans le même temps, le financement local des ONG de lutte contre la Violence Domestique se tarit, les subventions de l’Etat étant plus susceptibles d’aller à des organisations promouvant des valeurs dites « traditionnelles ».

« Le résultat final de la loi sur les agents étrangers est de nous aliéner et nous discréditer parmi le public. Vous portez cette étiquette et tout le monde autour de vous commence à se détourner de vous. » 




Par Vanina Chareyre

La collecte se poursuit

sur HelloAsso