Un geste solidaire vers les femmes précaires

Au cours d’une consultation de gynécologie au Centre d’hébergement d’urgence des migrants de la Ville de Paris, à Ivry sur Seine, Anne-Marie Mouton, sage-femme et moi avons rencontré une jeune femme iranienne nouvellement arrivée. Elle venait consulter pour une suspicion d’infection vaginale, d’après la traductrice. Après l’avoir interrogée, nous lui avons proposé de se déshabiller pour que nous constations le problème et pour pouvoir au mieux la traiter si nécessaire.

« Ce n’est pas possible, nous a-t-elle répondu. Je ne peux enlever ma culotte, car elle est sale et je n’en ai pas d’autres. »

Nous nous sommes renseignées sur le vestiaire dont dispose le CHUM : pas de vestiaire d’adulte sur place, cela demande trop de logistique (le tri des vêtements par sexe, taille et saison est un travail à temps plein). Les personnes hébergées sont emmenées dans une ressourcerie et Emmaüs-France qui gère le centre achète le nécessaire ; mais, on n’y trouve, le plus souvent, pas de sous-vêtements.

Qu’à cela ne tienne, ici au CHUM, il y a des machines à laver à disposition : on peut laver sa culotte le soir et la remettre le lendemain matin.

« Mais, non, pas question de dormir nue ! ».

Et là, nous percevons l’ampleur de son désarroi. Impossible de dormir sans culotte, même dans un lieu sécurisé ; qu’a vécu cette femme dans son pays avant son départ, qu’a-t-elle vécu sur son trajet avant d’arriver ?

 Avoir une culotte, et propre de surcroit, est une question de sécurité (bien fragile) et de dignité pour toute femme.

Cela nous a remué le cœur. Il m’a fallu une réflexion de trois semaines pour que mûrisse dans ma tête l’idée d’une collecte de culottes auprès de mes relations. Un message Whatsapp intitulé Solidarité femmes a été envoyé fin janvier. Cinq jours plus tard, nous étions déjà à la tête de 200 culottes ! Cela n’a pas cessé d’augmenter de jour en jour. Toutes les filles ont été touchées, les garçons étonnés mais solidaires. J’ai reçu également des trousses entières cousues main contenant culotte, soutien-gorge, legging et débardeur avec l’étiquetage des tailles. L’atelier de fabrication Louis Vuitton (situé entre Rennes et Saint-Malo) qui emploie 700 femmes a collecté lui aussi des culottes à l’occasion de la journée internationales des Droits des femmes le 8 mars : un énorme colis est arrivé chez moi. On m’a aussi donné de l’argent avec lequel j’ai acheté des culottes menstruelles. Le recueil va se poursuivre car ce ne peut être l’opération d’une seule fois : le passage par le CHUM est rapide et nous avons l’intention d’alimenter en sous-vêtements le plus de femmes possible. Il y en a aussi pour les femmes rencontrées dans le cadre des ateliers de prévention et contraception sur Paris dont Anne-Marie Mouton est la référente.

Lorsque nous en avons proposé aux femmes qui nous consultaient, pas une qui a refusé notre don. Y compris les culottes menstruelles dont on nous avait dit que ce ne serait pas pratique à laver dans des locaux communs ou que nos patientes ne sauraient pas ce que c’est, ni comment les utiliser. Il faut qu’on mette de côté cette idée que ces femmes qui ont fui leur pays pour sauver leur vie, leur intégrité physique face aux mutilations génitales, pour protéger leurs filles ou vivre dignement avec éducation et soins, ne seraient pas aussi au fait que nous des moyens modernes à la disposition des femmes en matière d’hygiène.

Mes copines ne se sont pas privées de se moquer de mon enthousiasme : elles m’ont traitée de fétichiste ; elles ont eu peur que le facteur ne me dénonce pour trafic illégal ou tout simplement pour débordement de ma boite aux lettres ! Mais, quel bonheur pour moi de voir que la solidarité féminine n’est pas un vain mot.

 

Écrit par Laurence Pecqueux, gynécologue-obstétricienne à Camparis.

La collecte se poursuit

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