Les Hirondelles de Kaboul

« …au pied des montagnes... surgit Kaboul... ou bien ce qu’il en reste : une ville en état de décomposition avancée. Plus rien de sera comme avant, semblent dire les routes crevassées, les collines teigneuses, l’horizon chauffé à blanc et le cliquetis des culasses. La ruine des remparts a atteint les âmes. La poussière a terrassé les vergers, aveuglé les regards et cimenté les esprits. Par endroits, le bourdonnement des mouches et la puanteur des bêtes crevées ajoutent à la désolation quelque chose d’irréversible. On dirait que tout le monde est en train de pourrir, que sa gangrène a choisi de se développer à partir d’ici, dans le Pashtoun, tandis que la désertification poursuit ses implacables reptations à travers la conscience des hommes, et leurs mentalités. »

En 2002, l’auteur Yasmina Khadra nous offre un roman fort, d’une grande intensité, abordant la question très actuelle de l’obscurantisme religieux : « Les Hirondelles de Kaboul ».

Ce roman fait partie d’une sorte de trilogie traitant de la situation de certains pays du Moyen Orient (2005 : L’Attentat - 2006 : Les sirènes de Bagdad)

Yasmina Khadra est le pseudonyme de l’écrivain algérien Mohammed Moulessehoul, créé à partir des 2 prénoms de son épouse, en hommage à celle qui l’a toujours soutenu.

« Mon épouse m’a soutenu et m’a permis de surmonter toutes les épreuves qui ont jalonné ma vie. En portant ses prénoms comme des lauriers, c’est ma façon de lui rester redevable. C’est elle qui m’a donné le courage de transgresser les interdits. »

Dans ce roman poignant, Yasmina Khadra nous amène en été 1998, sous le 1° gouvernement des Talibans (1992 -2003). Kaboul en ruines, vit dans la peur d’un quotidien rythmé par les exécutions publiques et les lapidations des femmes.

Les Talibans ont conquis le pouvoir par la guerre et appliquent leurs principes religieux, s’en prenant essentiellement aux femmes, envoyant les hommes à la mosquée écouter les prêches enflammés de mollahs illuminés.

Même rire y est répréhensible, ce dont d’ailleurs les habitants, désespérés, ont perdu la force. Dans les ruines brûlantes de l’après-guerre de la cité millénaire de Kaboul, la mort rôde, les talibans veillent... 2 hommes 2 femmes cherchent comment retrouver goût à la vie.

Atiq Shaukat, courageux moudjahidin reconverti en gardien de la geôle où sont enfermées les femmes condamnées à mort, traîne sa peine. Toute fierté l’a quitté. Il ne peut se résoudre à répudier, comme le voudrait la norme, son épouse Mussarat, atteinte d’un cancer.

« Qu’attends-tu pour la foutre à la porte ? Répudie-la et offre-toi une pucelle saine et robuste, sachant se taire et servir son maître sans faire de bruit. »

Le goût de vivre a également abandonné Mohsen Ramat, qui rêvait de modernité. Son épouse Zunaira, avocate, plus belle que le ciel, est désormais condamnée à l’obscurité grillagée du tchadri.

Alors, Kaboul, que la folie guette, n’a plus d’autres histoires à offrir que des tragédies : Ici, une lapidation d’une femme, là, un stade rempli pour des exécutions publiques.

« Les hommes sont devenus fous ; ils ont tourné le dos au jour pour faire face à la nuit »

Accablés par le lent pourrissement qui les gagne, dans le dégout de leur impuissance complice, Atiq et Mohsen ne savent plus comment trouver la paix, alors qu’en dépit d’eux-mêmes et de la pression fataliste de leur entourage, ils ne peuvent tout à fait se résoudre à accepter l’inacceptable. Les scènes chocs se succèdent révoltantes… L’horreur s’impose avec cette lapidation publique d’une prostituée, scène insupportable au cours de laquelle Mohsen, participe, emporté par l’hystérie collective.

Sur le fond apocalyptique d’un Afghanistan jeté dans un chaos économique et humanitaire inouï, Yasmina Khadra met en lumière le désespoir sans fond d’une population persécutée par un régime de terreur. On y frémit en particulier du sort des femmes, ni plus ni moins rayées de la condition humaine. On assiste à leur déchéance, leur négation.

« Je vis avec quatre femmes...Pour l’une comme pour l’autre, je n’éprouve que méfiance car, à aucun moment, je n’ai eu l’impression de comprendre comment ça fonctionne, dans leur tête. Avec ces créatures viscéralement hypocrites et imprévisibles, plus tu crois les apprivoiser et moins tu as de chances de surmonter leurs maléfices. »

« Les Hirondelles de Kaboul » a connu un très beau succès puisqu’il s’est écoulé à 700 000 exemplaires, toutes éditions confondues.

En 2017, les Editions Tibert proposent une version du texte intégral de Yasmina Khadra illustré par le peintre Emmanuel Michel avec une cinquantaine d’illustrations (Tirage limité à 3000 exemplaires) rendant ce roman encore plus intense.

En 2019, Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec co-réalisent une adaptation au cinéma, sous forme d’un film d’animation de 81 min. Le choix de l’animation pourrait surprendre au début pour un projet de ce type, mais il se révèle très rapidement comme la meilleure solution pour raconter une telle histoire.

Si cette adaptation rappelle le film d’animation « Parvana – une enfance en Afghanistan », il est important de souligner que le long métrage «Les Hirondelles de Kaboul» n’est pas accessible à tout âge. Même s’il ne montre pas d’images violentes, la violence des faits racontés est présente.

Les aquarelles d’Elea Gobbé - Mévellec sont magnifiques et créent par leurs aspects poétiques une certaine dichotomie entre l’image et l’idée.

Le 15 août 2021, 20 ans après le renversement de leur régime, les Talibans entrent dans Kaboul et s’arrogent les pleins pouvoirs en Afghanistan.

Ce qu’ils revendiquent : s’être modernisés.

Or, leurs déclarations n’ont pas résisté à l’épreuve des faits.

Malgré les promesses de départ (les femmes seraient autorisées à exercer leurs droits dans le cadre des lois de la charia, y compris le droit de travailler et d’étudier), les Talibans n’ont cessé de restreindre les droits de la population et notamment ceux de leur ennemi numéro un : Les femmes.

Les Talibans ont interdit aux filles de poursuivre leur scolarité au-delà de la 6e et ont interdit aux femmes d’occuper la plupart des emplois situés à l’extérieur de leur domicile. Depuis le retour des talibans, environ une cinquantaine de décrets et lois ont été promulguée pour restreindre les droits des femmes.

Les femmes sont INVILIBILISEES. Elles ont été presque totalement effacées de la vie publique et de l’espace public.

Le 23 janvier 2025, Karim Khan, le procureur de la Cour Pénale Internationale a lancé des mandats d’arrêts conte les talibans pour crimes contre l’humanité en raison des persécutions contre les femmes afghanes.

«L’annonce du procureur de la CPI est une avancée majeure pour amener à rendre des comptes toutes les personnes accusées d’être responsables de la privation fondée sur le genre du droit à l’éducation, du droit de circuler librement, du droit à la liberté d’expression, du droit à la vie privée et à la vie de famille, du droit à la liberté de réunion et du droit à l’intégrité et l’autonomie physique.»

Agnès Callamard Secrétaire générale d’Amnesty International

 

Écrit par Vanina Chareyre

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