Madame Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits de la Femme, n’a pu être présente lors de la 4ème Journée Humanitaire sur la Santé des femmes dans le monde le 29 novembre 2013.
Elle nous a transmis la lettre suivante :
Lorsque vous m’avez proposé il y a quelques mois déjà de présider cette journée, j’ai accepté avec enthousiasme et je regrette sincèrement de ne pas pouvoir être parmi vous ce matin, pour ouvrir cette quatrième journée humanitaire.
Je suis aujourd’hui, vous le savez tous, sur les bancs de l’assemblée nationale, pour l’examen de la proposition de loi contre le système prostitutionnel.
C’est un honneur et une fierté pour moi de présider cette journée et j’aurais aimé être parmi vous ce matin pour vous le dire de vive voix. Un honneur et une fierté d’abord, car le travail réalisé par les gynécologues et les sages-femmes de « gynécologie sans frontière » est admirable.
A une époque parfois tentée par le repli sur soi, les femmes et les hommes de « gynécologie sans frontière » se battent aux cotés des femmes du monde entier pour leur santé et pour leur place dans la société. Ce sont des gynécologues et des sages-femmes qui n’acceptent pas que chaque année, 350.000 femmes meurent en mettant un enfant au monde ou que des femmes meurent de cancers gynécologiques que l’on aurait pu prévenir et guérir. Des femmes et des hommes qui se battent pour pratiquer accouchements ou césariennes dans des situations de catastrophe, pour porter assistance aux femmes violées dans les zones de conflits. Des gynécologues et des sages-femmes qui s’investissent aussi en France dans des actions de prévention, d’accompagnement et d’aide de toutes celles qui en ont besoin. Je veux avant tout leur rendre un hommage sincère.
Présider cette journée me tient d’autant plus à cœur que le thème choisi pour cette année est au cœur des priorités du Gouvernement. Vous le savez, les violences faites aux femmes prennent des formes très variables, mais elles ont pour point commun de se nourrir des représentations sexistes et patriarcales de notre société. C’est ce que l’on appelle le « continuum des violences » : violences conjugales, violences sexuelles, harcèlement sexuel, violences liées aux pratiques traditionnelles : toutes ces violences sont le prolongement d’une certaine vision de la femme dans notre société.
En France, chaque année, plus de 200.000 femmes sont victimes de violence physique ou sexuelle de la part de leur conjoint et 83.000 femmes sont victimes de viols ou de tentatives de viols. L’an dernier, 148 femmes sont mortes à la suite de violences conjugales. Ces chiffres en disent long sur la réalité des violences sexistes et sexuelles. Elles ne sont pas des « cas isolés », mais le symptôme terrible d’une société où les inégalités entre les sexes structurent en profondeur nos comportements et nos imaginaires.
Pour faire reculer durablement les violences, il faut d’abord savoir les identifier et les dénoncer. Cela veut dire briser le silence, relever notre niveau d’intolérance à la violence : les gestes déplacés, les insultes sexistes dans la rue, les violences conjugales dans le voisinage ne sont pas admissibles.
Cela commence à l’école, parce que c’est là que les stéréotypes se construisent, et c’est à cet âge que l’on apprend le respect d’autrui. Et notre action doit se poursuivre partout où l’on doit affirmer et veiller à la dignité des femmes, à leur image, comme dans la publicité, les médias, le monde du travail, dans le sport, à l’université.
Chaque femme victime de violence croisera dans son parcours un professionnel de santé, que ce soit à l’hôpital, dans un cabinet médical, dans un rendez-vous au tribunal ou lors d’une séance de rééducation chez le kinésithérapeute… Les professionnels de santé sont en première ligne face aux violences.
Les gynécologues et les sages-femmes, parce que ce sont des professionnels aux côtés des femmes, tiennent un rôle tout particulier. Un tiers des femmes victimes de violence conjugale ont commencé à subir ces violences pendant une grossesse. La grossesse, période de fragilité et de chamboulement pour le couple, est une période à risque pour un certain nombre de femmes. C’est aussi une période où les femmes victimes trouvent parfois la force pour rompre le cycle des violences. Le rôle de dépistage et d’accompagnement des professionnels de santé est alors primordial.
J’ai présenté vendredi dernier le quatrième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes. Il accorde une importance particulière à la mobilisation des professions de santé, en écho à la disposition que j’ai introduite dans le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui fait obligation de prévoir une formation aux violences faites aux femmes dans la formation initiale et continue de nombreuses professions.
Ce 4ème plan est construit autour de trois priorités :
D’abord, l’action publique contre les violences faites aux femmes est profondément réorganisée autour du principe d’une réponse systématique et complète pour chaque violence déclarée : aucune violence déclarée ne doit rester sans réponse.
Nous mettons en place des mesures pour systématiser les réponses à toutes les étapes du parcours des victimes, pour assurer la prise en charge la plus précoce possible notamment sur les plans sanitaires et judiciaires : c’est l’enjeu de la création d’un service d’accueil téléphonique en continu, du doublement du nombre d’intervenants sociaux en commissariat et brigade de gendarmerie, des protocoles encadrant les conditions de recueil des plaintes.
C’est également l’enjeu de l’organisation du parcours de soins aux victimes en s’appuyant sur la médecine de premier recours. Pour la première fois, les violences faites aux femmes seront considérées comme une priorité de santé publique. De nombreuses initiatives existent sur le plan local, pour une prise en charge coordonnée des femmes victimes de violences.
Nous les développons en prenant des engagements au niveau national : un protocole adressé aux Agences Régionales de Santé permettra de renforcer les liens entre services de santé, de police et de justice. Il prévoira notamment la désignation de référents locaux, chargés d’améliorer la coordination des différentes entités intervenant auprès des victimes, et le rythme de leurs rencontres. Il assurera l’information réciproque des acteurs intervenant auprès des victimes et ainsi la protection apportée à ces dernières.
Nous avançons aussi sur la question du renforcement de la réponse à l’urgence, notamment en cas de viols ou violences sexuelles. Trop de femmes aujourd’hui échappent au dispositif de prise en charge et ne parviennent pas à faire constater les preuves de leur agression. Un kit de constatation en urgence est en préparation, qui sera expérimenté dans plusieurs services d’accueil des urgences sur le modèle du kit utilisé aux Etats-Unis par les « Sex Assault Response Team ».
Nous répondrons aussi aux attentes en matière de développement des disponibilités du service d’accueil et d’hébergement d’urgence. 1650 solutions supplémentaires dédiées aux femmes victime de violences seront mises en places d’ici 2017.
2ème priorité,nous ne devons tolérer aucune faille lorsqu’il s’agit de protéger les victimes. C’est pourquoi, le plan prévoit le renforcement de l’ordonnance de protection, la mise en place du téléphone d’alerte pour les femmes en très grand danger, le renforcement des outils de prévention situationnelle, l’organisation de la réponse pénale aux auteurs de violences et l’engagement d’un travail pour avancer sur la désolidarisation des comptes et des dettes en cas de violences conjugales.
Nous devons enfin mobiliser l’ensemble de la société et former les professionnels.
Nous mettons en place une politique transversale de prévention des violences faites aux femmes, dans les médias et sur internet mais aussi dans les espaces de socialisation : l’école, l’université, le sport, le monde du travail.
Nous avons lancé une vaste campagne nationale d’information sur les violences faites aux femmes, avec la diffusion d’un clip qui met en scène des professionnels autour du thème « libérons la parole ». On y voit des professionnels à l’écoute, et parmi eux, un médecin, une assistante sociale, une fonctionnaire de police. Pour toutes ces professions, un seul slogan : « nous sommes tous là pour vous aider ».
La mobilisation de l’ensemble des services publics se fera à travers la construction d’un programme de formation initiale et continue spécifique à ces violences pour tous les professionnels impliqués. C’est la mission de la Miprof, que j’ai créée en janvier 2013.
Les médecins français considèrent qu’ils sont insuffisamment formés pour faire face à ces enjeux : 60% des médecins généralistes considèrent qu’ils ne disposent pas de la formation suffisante en la matière ; Nous avons mené une enquête nationale auprès des étudiants en médecine et les résultats sont éloquents : 78 % des étudiants en médecine jugent peu adaptée ou inadaptée la prise en charge médicale des patient-e-s victimes de violence. 96% des futurs diplômés souhaitent apprendre à dépister les violences et 95,1% à en traiter les conséquences.
Déjà, nous avançons. Le programme des épreuves classantes nationales intègre désormais un item « violences sexuelles » et le diplôme d’Etat de sage-femme prévoit des objectifs en termes de prévention, de diagnostic et d’épidémiologie des violences faites aux femmes. La Miprof a d’ores et déjà mis au point des outils de formation pour les professionnels de santé, qui ont été présenté la semaine dernière, devant plus de 400 personnes enthousiastes, car elles voyaient que les choses avançaient, enfin !
Vous l’avez compris, le rôle des professionnels de santé est central pour lutter contre les violences faites aux femmes, en matière de soin, de dépistage et d’accompagnement. Cette journée s’annonce très riche et je prendrais connaissance avec un grand intérêt des idées et des pistes de réflexions qui émergeront de vos échanges.
Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite une belle journée.
Najat VALLAUD-BELKACEM
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