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Tiré des actes du colloque Violences Conjugales – 27 novembre 2014 – Lille

Roland COUTANCEAU

Psychiatre, président de la Ligue française de santé mentale, enseignant en psychiatrie

Après un tel témoignage, seuls la compassion et le silence ont leur place. Il illustre la réalité des cas extrêmes de violences conjugales. Néanmoins, il faut insister sur l’idée que l’on peut dépister plus tôt la violence, de façon précoce, et l’anticiper. Des situations extrêmes existent en effet, où l’on devine une jalousie morbide, une folie de caractère du conjoint, etc. Cependant, les psychiatres doivent avoir l’honnêteté de reconnaître l’échec de leurs soins, pour une minorité de patients.

Eléments de contexte

Pour identifier le dysfonctionnement chez un auteur de violences, il faut d’abord se rappeler que ces violences se répètent souvent sur une longue période. Cette répétition est liée au silence des victimes qui sont enfermées dans une bulle. Le premier élément de prévention est souvent de nommer les réalités. Le numéro de téléphone d’urgence, le 39 19, est sur ce point un outil très pertinent, car il permet aux victimes de se confier à une personne anonyme.

Comme dans d’autres pays développés, les associations militantes se sont d’abord concentrées sur la question des femmes victimes. En France, la prise en charge des auteurs de violences a été renforcée en 2005, notamment parce qu’après le dévoilement des faits, de nombreuses femmes continuent en réalité à cohabiter avec leur conjoint et agresseur. En 2010, s’amorce un troisième mouvement, qui se concentre sur les enfants, victimes collatérales. Il s’agit, d’une part, de prendre en charge le petit garçon pour éviter qu’il ne reproduise ce dont il a été témoin et, d’autre part, de soulager dans l’immédiat les jeunes victimes pour diminuer l’impact des faits. Il est donc important de créer un espace d’écoute et de dialogue. Au-delà du dépistage, la prévention via l’éducation est essentielle, ainsi que l’apprentissage du vivre ensemble.

En outre, l’intervenant de première ligne a un rôle capital. Il peut s’agir d’une personne présente dans la constellation familiale et qui a l’intuition que quelque chose se passe, qu’une femme souffre même si elle ne dit rien. Chacun des professionnels présents ce jour peut également constituer cet intervenant de première ligne. Et plus se développera la compétence des professionnels à dépister précocement la violence conjugale, plus chacun, dans sa fonction propre, se sentira capable d’évaluer une situation de violences et d’intervenir avec pertinence.

Comprendre la victime

Pourquoi un si long silence ?

A Lille, comme dans toutes les villes, des femmes sont victimes de violences mais n’en parlent pas. Pourtant, les conseils sont bien diffusés et connus : il est nécessaire de parler et de porter plainte. Ce discours, certes pertinent, n’est pas totalement efficace, car beaucoup de victimes expliquent, a posteriori, qu’elles ne pouvaient pas envisager une procédure judiciaire. Cela s’explique d’abord par le fait que l’homme crée la terreur et réduit sa victime au silence. Ensuite, cela est dû à des mécanismes psychologiques – que les professionnels doivent avoir à l’esprit – tels que la culpabilité subjective. Certaines victimes intériorisent les critiques que leur adresse l’agresseur. Elles peuvent même éprouver de la honte : reconnaître que la violence a émergé dans son couple revient à critiquer son propre choix de relation. La peur du regard des autres, de la famille ou des enfants, est aussi parfois un obstacle. Enfin, l’envie de s’extraire d’une relation source de violences conjugales est parfois moins forte que la dépendance affective ou économique.

Suite à une garde à vue pour des faits de violences conjugales, on constate que 90 % des hommes reviennent à leur domicile. Même si l’accompagnement des victimes a progressé, la femme pense nécessairement aux conséquences lorsqu’elle envisage de porter plainte.

Pour sortir du silence

Clipboard02Les outils qui libèrent la parole, comme le numéro de téléphone 39 19, doivent être promus car il est parfois plus facile pour une victime de se confier à quelqu’un qui ne connaît pas l’agresseur. Le besoin de s’exprimer ne va de plus pas toujours de pair avec un souhait de porter plainte. Le message social semble limpide, pourtant la situation est plus complexe.

90 % des victimes expliquent que si quelqu’un avait deviné ce qu’elles subissaient, elles en auraient parlé plus tôt. Je constate également cela en tant que psychiatre. Il s’agit donc de s’autoriser un certain droit d’ingérence dans la vie privée d’autrui. Les médecins qui reçoivent ces femmes en consultation doivent utiliser leur intuition, puis montrer des signes indiquant qu’ils ont compris la situation. Une fois l’étape du dévoilement passée, les différents outils, tels que les groupes de parole ou le suivi individuel, visant à libérer la parole, sont complémentaires.

Connaître l’auteur

Il est important que la société ait une représentation des auteurs de violences. Les cas médiatisés sont les plus graves. Si les pervers narcissiques existent réellement, d’autres agresseurs agissent par immaturité ou par simple brutalité. Le pervers narcissique fait preuve d’une intelligence que tous les agresseurs n’ont pas.

Au sein du couple

Un aspect de la personnalité des hommes violents les incite, dans un environnement donné, à prendre le dessus sur leur conjointe. Une relation de couple est en effet une situation à risques pour les égocentrés et les immatures, car cette relation leur donne l’occasion d’exercer un ascendant, par emprise sur quelqu’un, sans qu’un tiers n’intervienne. Cet abus de l’altérité se traduit par la violence, par la menace, par la manipulation ou encore par le harcèlement. Dans certains cas, il suffit que la femme se confie à l’extérieur pour que les violences cessent.

Comment connaître cet agresseur, qui n’est pas névrotique, mais dont le caractère est trouble ? Certains hommes ne sont violents qu’avec leur femme. Dans ce cas, il faut rechercher les thématiques spécifiques, telles que la jalousie et la peur de perdre l’autre, qui sous-tendent la violence. Les égocentrés et les immatures ont des difficultés à faire preuve de l’intelligence émotionnelle nécessaire pour régler les conflits que connaît leur couple de manière spécifique.

Trois profils

Pour tenter de comprendre les comportements de ces hommes violents, il est intéressant d’écouter ce qu’ils disent de leur propre violence. On peut retenir ici trois témoignages :

– « C’est ma faute, j’ai honte, j’espère qu’elle m’aime encore ». C’est le profil de l’immature, ou plus rarement de l’homme adroit qui essaie d’éviter la sanction. Ce sont des sujets avec lesquels il est facile de travailler.


Clipboard15– « C’est moi, mais c’est beaucoup de sa faute. J’ai honte parce que tout le monde le sait ».
C’est le profil de l’immature égocentrique qui ne conçoit pas que ses actes aient pu détisser le sentiment affectif de la femme. Cet agresseur a du mal à concevoir l’altérité. Ces hommes ont parfois été maltraités dans leur jeunesse, ou été témoins de la violence de leur père envers leur mère. Si la conjointe ne souhaite pas le quitter, il faut recommander fortement la procédure judiciaire et l’obligation de soins.

– « Je ne l’ai pas frappée ». C’est le profil du paranoïaque, du mégalomane, des grands pervers narcissiques. Le dénigrement est un défi pour les psychiatres. La technique du groupe de parole permet à l’agresseur d’écouter d’autres hommes reconnaître leur violence. Cela l’incite normalement à reconnaître la sienne et se révèle ici très efficace.

Evaluer les profils des agresseurs est essentiel pour pouvoir ensuite décider d’une stratégie de réintégration adaptée, qui peut comporter une obligation de soins, une thérapie de groupe, etc.

Il peut aussi être intéressant pour des professionnels de s’allier à des « sujets matures  » de l’entourage familial, dont les avis et le concours seront utiles pour l’évaluation de la situation mais également dans la phase post-dévoilement des violences. Il peut s’agir par exemple de la mère de la plaignante, du père de l’homme violent, etc.

Conclusion

Dans de nombreuses situations, les professionnels peuvent intervenir de façon précoce en comprenant suffisamment tôt ce que les victimes ont du mal à exprimer. Une société est forte si elle est capable de gérer le post-dévoilement de manière systémique par le biais de la justice, des associations, de l’accompagnement familial ou de la prise en charge des sujets violents.

Les intervenants de proximité, qu’il s’agisse de professionnels ou de personnes matures de l’entourage, jouent un rôle en ce sens. Quitte à paraître provocateur, on peut cependant craindre que plus la violence est dépistée tôt, plus la victime aura tendance à vouloir continuer de vivre avec l’agresseur. Il est donc essentiel de mettre en place des pratiques de post-dévoilement intelligentes. Dans ce contexte, la formation des professionnels est importante.