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Tiré des actes du colloque Violences Conjugales – 27 novembre 2014 – Lille

Olfa LAFORCE
Responsable de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes

Au cours de cette semaine de lutte contre les violences conjugales, les chiffres sont assénés. Ils sont accablants. Il est important de disposer de ces chiffres pour témoigner de l’ampleur du phénomène. Mais n’oublions pas que derrière chaque drame, il y a des êtres humains. Reléguer leur histoire au simple fait divers, c’est oublier cette dimension. C’est pourquoi nous avons choisi de débuter ce colloque par un témoignage, qui rend compte du quotidien de deux femmes sur dix en France, en 2014.

Ce témoignage est celui d’Odile Zuliani, qui est présente ce jour pour sensibiliser aux violences conjugales, par le biais de son histoire personnelle.

Clipboard11Introduction

Ce jour-là, le 9 février 2012, Odile Zuliani se rend à son ex-domicile pour récupérer ses affaires. Pour la première fois, depuis des années, elle commence à envisager un avenir plus rose, loin des violences conjugales et du harcèlement psychologique que lui fait subir son mari depuis près de 20 ans. Cela fait un mois qu’elle a quitté le domicile conjugal pour se réfugier chez ses parents, dans l’attente de l’ordonnance de conciliation. Elle vient de trouver un appartement et tout semble présager qu’elle va enfin voir le bout du tunnel.

Depuis quelques jours, son ex-conjoint ne la suit plus et la harcèle beaucoup moins. Il semble accepter leur séparation. C’est pourquoi, cet après-midi-là, elle se rend dans leur maison pour récupérer quelques affaires de ski. Les enfants étaient censés être à l’école, et son ex-conjoint au travail. Rien ne la préparait à l’horreur du drame qu’elle va vivre.

Elle va découvrir son ex-conjoint pendu, le corps sans vie de sa fille dans le divan, caché par sa couette, les murs sur lesquels son mari a écrit au marqueur sa folie, sa paranoïa et sa volonté de punir son épouse qui avait demandé le divorce. A l’aube, ce jour-là, il a poignardé dans leur sommeil leurs trois enfants, Nino, 16 ans, Léo, 14 ans et Emi 5 ans, avant de se pendre.

Genèse du couple et premières déconvenues

Leur histoire avait pourtant très bien commencé. Lorsqu’ils se rencontrent, elle a 16 ans, lui 22 : il est sportif, ils sont beaux, ils s’aiment et décident de se marier. Pour tout le monde, famille, amis, collègues, ce couple est l’incarnation de la famille idéale : celui dont personne n’imagine qu’une fois la porte d’entrée refermée et les volets baissés, des violences psychologiques s’abattent sur Odile Zuliani et ses enfants, à la fois témoins et co-victimes.

Car derrière cette façade d’un bonheur factice, que Mme Zuliani s’évertue à entretenir, c’est une toute autre réalité qui se noue : son époux, si charmant, si aimant et si attentionné en public est en réalité hyper possessif, égocentrique et jaloux. Maladivement jaloux, jusqu’à la violence morale et physique. Il choisit ses amis. Elle n’a pas le droit de parler aux autres sans son consentement. Elle doit tout faire avec lui. Partir au travail avec lui. Aller au sport avec lui. Ne sortir qu’avec lui. Quand elle le contrarie, il la sort violemment de la voiture ou du domicile conjugal. Le plus petit détail sans importance peut le contrarier.

A l’abri des regards, le quotidien d’Odile Zuliani est fait d’humiliations, de harcèlement, de pressions et de surveillance permanente. Il contrôle le moindre aspect de sa vie, de ses relations amicales, familiales et professionnelles. Il la suit, la piste, l’espionne. Elle vit dans l’angoisse perpétuelle, elle fait des cauchemars, elle se sent lasse et triste mais s’évertue néanmoins à se conduire de façon irréprochable pour ne pas provoquer les scènes de violence. Au fil des années, le comportement de son mari s’emballe et devient de plus en plus violent. Mais Odile Zuliani pense toujours qu’elle peut sauver son mariage et changer le cours des choses.

Jusqu’à ce 31 décembre 2010 où, fou de rage et de jalousie, il met des gants, enroule une corde à sauter autour du cou de sa femme et tente de l’étrangler.

La réaction, mais l’emprise

Pour la première fois, elle prend conscience qu’elle ne pourra jamais le changer, que sa propre vie est en danger, qu’elle doit réagir et porter plainte.

Son mari est condamné à huit mois de prison avec sursis. Pour la justice, les faits de tentative de meurtre sont finalement requalifiés en violence conjugale avec obligation de suivre des soins thérapeutiques. Malgré tout, Odile Zuliani retourne vivre aux côtés de son conjoint, pensant que les soins thérapeutiques qu’il reçoit vont le soigner. Il lui redit à nouveau son amour pour elle et sa volonté de changer.

A l’été 2011, tout semble s’être apaisé, le couple passe des vacances ensemble et paraît « normal ». C’est une courte et trompeuse accalmie. En novembre 2011, nouvelle scène de jalousie, nouveau déchaînement de violence, nouvelle tentative d’étrangler sa femme qui s’effondre inconsciente, ce jour-là devant ses enfants. C’est la fois de trop pour Odile Zuliani qui décide de partir et dépose une main courante. Une main courante car elle refuse de porter plainte. Elle ne veut pas que le père de ses enfants aille en prison. Ce qu’elle souhaite, c’est plutôt qu’il soit interné et qu’il reçoive des soins psychiatriques. Il est en effet très violent avec elle mais pas avec les enfants.

Alors qu’elle s’est réfugiée chez ses parents, elle dénonce les faits au Service de probation et d’insertion pénitentiaire (SPIP) pour qu’il informe le juge de cette nouvelle tentative d’homicide. Elle indique qu’elle a quitté le domicile conjugal mais qu’il la suit partout, tous les jours, du matin au soir. Il lui est répondu que c’est son mari, qu’il a le droit de la suivre.

Au mois de janvier 2012, Odile Zuliani engage la procédure de divorce et accepte l’organisation d’une garde alternée pour les enfants, pensant que c’est la seule solution pour ne pas envenimer une situation déjà très violente à son encontre.

Sans le savoir, c’est à ce moment-là que la situation est à son paroxysme. Comme le lui expliquera le Docteur Paul Bensussan, psychiatre, pendant le reportage réalisé par Olivier Pighetti que lui a consacré France 2. Quoi qu’elle fasse, elle était prise au piège : rester avec son mari était dangereux, le quitter l’était tout autant.

Comprendre…

Après le drame, commence le temps du deuil, de la souffrance, des questions : pourquoi les alertes n’ont-elles pas fonctionné ? Tout cela aurait-il pu être évité ? Qu’est-ce que j’ai fait ou pas fait pour éviter ce drame ? Aurais-je dû penser qu’il puisse s’en prendre aux enfants ? Pourquoi aucune personne ne m’a prévenue du danger que pouvait représenter mon ex-mari pour moi-même et pour mes enfants ? Pourquoi ne suis-je pas partie plus tôt ?

Odile Zuliani découvre, grâce au Docteur Paul Bensussan, qu’elle était sous emprise. Dans leur couple, elle n’était plus un sujet de droit mais l’objet de son mari. Elle comprend que pour lui, les enfants ont constitué l’instrument de sa vengeance. Parce qu’elle voulait le quitter, il voulait lui imposer une souffrance, la tuer moralement plutôt que physiquement. Toucher aux enfants, c’était l’anéantir.

Elle découvre aussi qu’il n’y a aucune passerelle entre les institutions judiciaires et socio-médicales. Le psychologue du Centre médico-psychologique (CMP) en charge du suivi de son ex-mari, pourtant recommandé par le juge, n’était même pas au courant de son dossier judiciaire et n’était pas assez outillé en matière de violence conjugale.

…Et témoigner

Aujourd’hui, si Odile Zuliani témoigne, c’est parce qu’elle souhaite qu’il y ait davantage de coordination entre les services judiciaires, médicaux et sociaux. Elle veut dire que ce n’est pas parce qu’un auteur de violence se rend à son suivi judiciaire et qu’il se rend chez un psychologue que tout danger est écarté pour les victimes. Elle souhaite que l’on n’accable plus les femmes qui ne quittent pas leur conjoint car il est difficile de se défaire d’une emprise sans aide. Elle souhaite également qu’il y ait plus d’écoute autour des victimes et aussi autour des auteurs de violences : les victimes pour les aider à s’en sortir, leur donner plus d’informations pour qu’elles sachent prendre les bonnes décisions, les auteurs de violences pour qu’ils comprennent qu’ils sont à la fois malades et hors-la-loi.

Elle explique aussi qu’une victime de violences a besoin de ne pas être jugée ou montrée du doigt comme si elle était coupable du drame qu’elle vit. Elle dénonce aussi le manque de soutien psychologique après le drame, de la part de toutes les institutions qui avaient en charge le suivi judiciaire de son ex-conjoint. Après le drame, les victimes – directes et collatérales – sont en effet malheureusement livrées à elles-mêmes.

Je conclus ce témoignage en citant Odile Zuliani :

« Parfois j’aimerais ne plus me réveiller mais je ne veux pas lui donner raison, lui redonner le pouvoir. Je veux me battre pour la mémoire de mes enfants. Je ne veux pas que mon histoire se transforme en fait divers que l’on oublie très vite. Je veux que mon témoignage serve à d’autres femmes qui subissent
le même calvaire que moi, pour qu’elles sauvent leur peau et celle de leurs enfants, tant qu’il en est encore temps ».

Merci à vous, Odile Zuliani, d’avoir accepté notre invitation. Il faut beaucoup de courage pour survivre à un drame comme celui-ci. Ce que j’ai retenu personnellement de votre témoignage, c’est votre souhait que la société se mobilise pour que le drame que vous avez vécu ne devienne pas une fatalité pour d’autres familles. Et c’est parce que vous refusez cette fatalité que vous êtes présente aujourd’hui, pour témoigner et contribuer à sensibiliser les professionnels aux violences conjugales.