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Tiré des actes du colloque Violences Conjugales – 27 novembre 2014 – Lille

Luc FREMIOT, 

Substitut général à la cour d’appel de Douai, avocat général près les cours d’assises du Nord et du Pas-de-Calais

Depuis 2003, un long chemin parcouru

En relisant la circulaire d’application de la loi du 4 août 2014, j’y ai retrouvé l’essentiel de mes aspirations depuis 2003, époque à laquelle, en tant que procureur de la République à Douai, j’ai lancé un dispositif contre les violences faites aux femmes : le dispositif d’éviction du conjoint violent. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis cette date, et nous sommes aujourd’hui arrivés à un nouvel arsenal de mesures qui permet de voir l’avenir sous un jour meilleur.

Clipboard06Dans le cadre de ma mission en tant que magistrat, j’ai rencontré des personnes dont le parcours m’a profondément marqué et fait prendre conscience de l’enjeu de la violence conjugale. J’ai notamment rencontré une jeune femme qui était harcelée par son exconjoint. Ce dernier est même allé jusqu’à la menacer de mort. Après des semaines de terreur, elle a un jour décidé de partir de chez elle. Mais son ex-mari, qui l’attendait devant chez elle, lui a tiré dessus avec une carabine.

La jeune femme a survécu et a témoigné devant la cour d’assises de la montée de la terreur qu’elle a ressentie et de son incapacité à se détacher de l’emprise de cet homme.

Cet événement m’a fortement marqué. Face au peu de moyens dont disposait la justice pour éradiquer ce type de situations et devant l’inefficacité des peines, j’ai décidé de travailler non pas sur les conséquences de la violence mais sur ses causes afin d’éviter le passage à l’acte et la récidive. Je ne pouvais par ailleurs pas supporter que le lieu où les femmes étaient le plus en danger était leur domicile.

En 2003, j’ai donc entrepris un travail en réseau et rencontré de nombreux acteurs : préfet délégué à la sécurité du Nord, forces de l’ordre (gendarmerie et commissaire à la sûreté départementale), le sous-préfet de l’arrondissement de Douai… J’ai expliqué à tous ces acteurs qu’il fallait que cette situation inacceptable évolue.

Des pistes de travail claires

Isoler les auteurs et accompagner les victimes

J’avais notamment pris l’engagement d’une tolérance zéro, car le moindre fait isolé de violence peut engendrer des violences plus importantes. La première idée a été de placer les « tyrans domestiques » dans des lieux où ils ne causeraient plus de mal, en dehors du domicile conjugal. J’ai ainsi passé une convention avec le foyer Emmaüs pour personnes sans domicile fixe (SDF) de Douai pour l’hébergement de ces hommes violents après une garde à vue de 48 heures. La garde à vue n’est pas perçue de manière négative par toutes les femmes victimes de violences, du moment que les dispositions prises leur sont clairement expliquées.

Fort heureusement, la plupart des hommes auteurs de violences ne vont pas jusqu’à commettre un acte tragique. On peut ainsi entreprendre un travail de fond avec eux. En les logeant dans un foyer pour sans domicile fixe, il y avait aussi l’idée de placement dans un environnement qui fait figure de rappel à la norme.
Ainsi, tout en conservant leur emploi éventuel, ils doivent participer aux tâches domestiques du foyer mais aussi répondre aux questions des éducateurs et des résidants sur les raisons de leur hébergement dans le foyer. Ce dialogue contribue à déclencher un choc psychologique.

Mais, on ne peut traiter les hommes auteurs de violences et les femmes victimes isolément. A partir du moment où l’homme est pris en charge et hébergé dans le foyer, la femme doit également faire l’objet d’un accompagnement dédié. Les auteurs et les victimes ont en commun d’être dans le déni. Les femmes éprouvent de la honte et de la culpabilité. Elles perdent toute estime d’elles-mêmes. Ces couples vivaient souvent dans une absence totale de communication, la violence étant déclenchée par des motifs futiles.

Une prise en charge psychologique des victimes est donc nécessaire, notamment à l’aide de groupes de parole animés par un psychologue.
Souvent, une fois que l’une d’elles parle, les autres ont tendance à suivre. Pour certaines, enfermées dans le mutisme, nous avons également recours au dessin, qui est un déclencheur de paroles et d’échanges. Ces femmes sortent ainsi de leur enfermement.

Les groupes de responsabilisation

Nous sommes tous dépositaires de violence. Si celle-ci ne peut être éradiquée totalement chez certains, on peut néanmoins faire prendre conscience aux auteurs de violence de leurs actes. Tel était l’objectif du dispositif que je souhaitais mettre en place. J’ai ainsi contacté des psychiatres d’une association qui est le Cheval bleu près de Béthune (62) pour leur proposer de travailler sur la prise en charge des auteurs de violences intrafamiliales. Nous avons ainsi mené un travail en réseau (psychiatres, médecin légiste et procureur) sur la Colloque violences conjugales – 27 novembre 2014 33 problématique du passage à l’acte. Après une période de formation auprès de psychiatres du Québec, où les travaux sur la problématique existent depuis de nombreuses années, nous sommes arrivés à un protocole qui consistait en la mise en place d’un groupe de responsabilisation composé d’une dizaine de personnes (deux provenant de consultations privées spontanées et huit sous main de justice). Ce groupe se réunissait environ trois heures par semaine, pendant huit semaines.

Ce travail, bien que fragile, m’a néanmoins conduit à présenter mes travaux devant l’Assemblée nationale en 2004 à l’occasion d’un groupe de travail portant sur la récidive. Suite à cela, j’ai été invité à rédiger l’article permettant au procureur de placer les auteurs de violences dans des structures dédiées, sans avoir à faire appel à d’autres magistrats.

Souhaitant inscrire notre action dans la durée, nous avons ensuite instauré des rendez-vous judiciaires : l’auteur de violences participe au groupe de responsabilisation pendant plusieurs semaines, puis revient devant le tribunal qui demande un sursis avec mise à l’épreuve et une poursuite du suivi. Ce dispositif s’est montré très efficace, sauf pour les individus dans le déni. Nous avons ensuite conduit une évaluation du dispositif du groupe de responsabilisation après un an d’existence. Cette dernière a montré que le taux de récidive des hommes qui y avaient participé tombait à 6 % (contre 40 % en moyenne). Parmi ces 6 %, il est apparu que 90 % d’entre eux n’avaient pas pu bénéficier de l’hébergement au foyer Emmaüs.

Ainsi, l’enjeu est toujours aujourd’hui de trouver des places d’accueil pour ces hommes, en partant du principe que les victimes restent chez elles. Il faut souligner qu’une journée dans un centre coûte moins cher qu’une journée en prison, et que cette forme d’hébergement permet une certaine préservation du lien social.

Les résultats de notre évaluation indiquent donc que l’on est sur la bonne voie, même s’il faut encore trouver des aides pour développer et pérenniser ces dispositifs. Les initiatives des procureurs sont pour cela indispensables.

Sortir de quelques idées fausses

Même si la plainte est retirée, un signalement a suffi pour saisir le procureur, ce qui déculpabilise la victime. Une fois que les femmes sont prises en charge, si le conjoint revient au domicile après avoir été placé, il ne retrouve plus la même femme car elle sait mieux se protéger.

Il est par ailleurs erroné de penser que les enfants sont heureux dans un foyer miné par les violences et qu’ils ne souhaitent pas la séparation. Il faut aussi rappeler qu’un mauvais mari ne peut être un bon père et sortir du principe sacré de conservation des relations père/enfant lorsque le père est violent. Les enfants sont des otages et des victimes de la violence conjugale. Ils sont 34 également souvent utilisés comme une arme en cas de séparation (droit de garde, de visite, etc.). Afin de prévenir la survenance éventuelle de situations à risques, la loi d’août 2014 renforce les relations entre les services du Parquet et le juge aux affaires familiales, notamment en cas de divorce.

D’une manière générale, il nous incombe à tous – citoyens, magistrats, travailleurs sociaux, etc. – d’observer, de parler et de faire parler les personnes victimes.