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Tiré des actes du colloque Violences Conjugales – 27 novembre 2014 – Lille

Mireille LASBATS Psychologue clinicienne au CHRU de Lille, psychopathologue, expert près la cour d’appel de Douai

La prise en compte des enfants dans les situations de violence conjugale

Il a fallu attendre la loi de juillet 2010 pour que les enfants exposés aux violences conjugales soient pris en compte. Pourtant, le phénomène n’était jusque-là pas ignoré, puisque l’on s’apercevait, lors des expertises pénales, que les auteurs d’agressions avaient souvent été eux-mêmes, dans leur enfance, des victimes passives de violences conjugales. Une étude publiée en 2001 avait, de plus, mentionné la vulnérabilité sociale de ces enfants.

Clipboard08D’autres études, ainsi que l’avancée des neurosciences, de la médecine, de la psychologie ont permis aux professionnels d’assurer le relais entre les savoirs et la pratique. On a longtemps banalisé les conséquences des violences conjugales sur les enfants. Pourtant, ils en sont bien des victimes à part entière, certes passives, mais surexposées et fragilisées.

Il existe par ailleurs une différence de sens entre l’agressivité et la violence. L’agressivité renvoie, comme la violence, à une attaque du lien objectal dans la relation. En cas d’agressivité, ce lien n’est pas rompu. Dans le cadre d’une situation de violence, un caractère destructif du lien objectal apparaît. La violence est désobjectivante.

Comment les enfants sont-ils touchés par la violence conjugale ?

Les enfants ne viennent pas en consultation en tant que victimes collatérales de violences conjugales, mais parce qu’ils souffrent de difficultés d’apprentissage, d’élocution, d’impulsivité ou parce qu’un comportement déviant a été signalé. L’enfant réagit d’abord à la violence sur le mode somatique, affectif ou encore cognitif, en fonction de ses capacités de résistance. Une fois une relation de confiance avec le thérapeute instaurée, l’enfant pourra lâcher quelques mots sur sa situation familiale. Cependant, si le père l’apprend, la relation thérapeutique risque d’être rompue. Le rôle des professionnels est donc de prendre des précautions, d’interagir en réseau et d’effectuer des signalements afin d’améliorer le dépistage des situations de violence.

Un enfant réagit différemment aux situations de violence, en fonction de sa personnalité et du développement de ses mécanismes de défense. Souvent physique, la violence peut aussi parfois être psychologique. Certaines situations de violences conjugales peuvent ainsi prendre la forme de manipulation  : le père ou la mère dévalorise l’autre parent par la parole et crée ainsi une profonde rupture entre le parent dévalorisé et l’enfant. Par ailleurs, l’enfant aura tendance à imiter ces comportements. Lorsque le psychologue reçoit un adulte ou un adolescent violent, il arrive que ce dernier confie avoir été témoin de violences conjugales dans son enfance, sans se considérer toutefois comme une victime. Il est ainsi essentiel de créer un climat de sécurité et de recevoir l’enfant dans un lieu neutre où il se sentira en confiance.

Quelles sont les séquelles de la violence conjugale sur les enfants ?

On distingue différentes séquelles de la violence conjugale sur les enfants, en fonction de l’âge de ces derniers.

Sur le fœtus

Dès cinq mois, le fœtus entend la voix de sa mère et y réagit. Il est donc particulièrement sensible à l’environnement, et un climat violent le fragilisera avant la naissance. Des enfants ayant été des victimes indirectes de violences à cette période peuvent ainsi développer plusieurs symptômes : hyperactivité, sensibilité exacerbée, organismes de défense peu développés, etc.

Clipboard17Sur l’enfant jusqu’à trois ans

Jusqu’à trois ans, le bébé module ses réactions en fonction de son environnement. Le stress ressenti par sa mère a des effets sur son développement. Certains bébés se montrent atoniques, entravés dans leur développement cognitif. Pour se protéger, ils peuvent avoir des retraits interactifs, comme des fuites ou des figements du regard. Si ces troubles ne sont pas pris en charge rapidement, ils peuvent se développer de manière grave. Certains enfants peuvent en effet présenter des traits pré-autistiques ou psychotiques.

Le sentiment d’insécurité causé par la violence conjugale provoque aussi des cauchemars, des troubles psychosomatiques ou encore l’encoprésie (qui est souvent un signe qui alerte, car lié à un sentiment de terreur). A partir de deux ans, l’enfant intègre le modèle d’interaction familiale, qu’il représente à travers des dessins ou d’autres moyens d’expression, dont l’utilisation est essentielle pour le dépistage. Par ailleurs, la violence entrave la prise d’autonomie et peut créer des blocages chez l’enfant à différents niveaux, dont celui du langage. En termes de gestion d’émotion, l’enfant victime de violences rencontrera de plus en plus de difficultés à gérer ses émotions.


Clipboard19De trois à six ans

De trois à six ans, l’enfant extériorise de plus en plus sa peur du monde exté- rieur et du monde familial. Cela peut engendrer de nombreuses conséquences comme le développement de comportements agressifs ou encore l’apparition de difficultés alimentaires.

Clipboard18De sept à dix ans

De sept à dix ans, il arrive que l’enfant se coupe de ses camarades parce qu’il est contraint au silence. Cela peut engendrer chez lui une confusion des notions de bien et de mal et la perte de repères. L’autorité lui est également difficile à intégrer. Sur le plan affectif, l’enfant confond les langages d’amour et de haine. Une mère fragilisée sera nécessairement moins protectrice. L’enfant adoptera ainsi une attitude de coping qui revient à s’adapter à l’adulte : il devient alors soit trop mature (confident, protecteur), soit agressif. Les stratégies de coping de l’enfant peuvent prendre plusieurs formes : identification à la mère victime ou évitement. Cela entraîne le rapprochement avec l’agresseur ou encore le refuge dans diverses activités. Quel que soit le cas de figure, l’enfant perd en estime de lui-même.

A l’adolescence

Chez les adolescents, la violence a un effet très néfaste d’autant que ces derniers ne se confient pas facilement et ont tendance à refouler leurs émotions pour se protéger. La violence peut provoquer chez eux la phobie scolaire, un état prépsychotique, des conduites addictives, etc.

La violence conjugale a donc des impacts sur le développement de l’enfant, à tout âge. Tous les enfants victimes voient leur processus d’attachement affecté. Un enfant va, en effet, s’attacher à un parent violent de manière désorganisée, ambivalente, ce qui lui posera des problèmes dans le développement de ses assises narcissiques futures. Ses modes de réactivité seront profondément altérés.

Mesurer les réactions : entre stress et traumatisme

Nous disposons de nombreux outils pour mesurer les réactions des enfants face à des situations de violences conjugales. Encore faut-il savoir différencier si l’on est face à une situation de stress ou de traumatisme. En cas de stress, l’appareil psychique peut être modifié mais il peut également reprendre sa forme initiale lorsque l’enfant est protégé. Dans le cas d’un traumatisme, l’appareil psychique de l’enfant sera profondément altéré et il sera difficile de le soigner.

Les deux types de réactions nécessitent des prises en charge différentes. En cas de traumatisme, des psychologues et des thérapeutes peuvent intervenir, mais il s’agit avant tout de protéger l’enfant et donc de l’éloigner de la violence afin qu’il puisse verbaliser son traumatisme et retrouver son identité. Les visites (même médiatisées) au père placé en prison sont par ailleurs parfois néfastes, car elles provoquent un choc juste par un regard ou une phrase. Ces contacts doivent être organisés avec la plus grande prudence.

Ainsi, pour remédier aux impacts que des situations de violences conjugales peuvent provoquer chez l’enfant et identifier au mieux les séquelles qu’elles peuvent engendrer, il convient de développer des outils affûtés et spécialisés face à des situations qui ne sont pas faciles à démêler. Il ne faut pas non plus tomber dans les pièges que les parents nous tendent parfois. Afin d’éviter cela, nous devons développer des méthodologies d’observation et d’évaluation rigoureuses.